Intervention de Jean DELLUS
Grand prix de l’urbanisme
Avant de venir dans ce colloque, je me suis interrogé sur ce que j’attendais des architectes des bâtiments de France et des urbanistes de l’Etat que j’avais très souvent comme partenaires en matière de planification des “grands territoires”, selon vos propres termes. Je n’ai jamais, bien entendu, contesté leur existence parce que je crois, en effet, qu’ils ont un rôle indéniable.
Il me semble qu’il y a deux champs dans lesquels ils ont un rôle important et éminent. Ce sont l’aménagement du territoire et la planification . Sur le premier thème, je serai discret parce que je n’en n’ai pas une pratique importante ; en revanche, en matière de planification des agglomérations -j’ai réalisé ou plutot j’ai participé à la réalisation de quelques schémas directeurs; je peux peut-être en parler de manière plus légitime. Et puis, il y a un autre champ que j’ai pas du tout entendu exprimer ici, c’est l’exercice de maîtrise d’ouvrage urbaine de l’Etat.
En matière de planification, je crois que ma première réflexion sera que la planification est un exercice partenarial. Personne n’est responsable de la totalité ; les responsabilités sont partagées mais l’action doit être cohérente, c’est tout à fait évident. Ce jeu du partenariat est particulièrement imporant à une condition: c’est que chacun exerce bien sa propre responsabilité. J’aurais envie d’employer un mot qui est devenu à la mode depuis quelque temps, c’est le mot de subsidiarité, c’est-à-dire que personne ne se substitue à ce que quelqu’un d’autre peut faire à sa place. Et il me semble qu’en raisonnant de cette manière là, on peut peut-être essayer de préciser quelle est la légitimité de l’Etat dans ces domaines.
L’Etat est responsable d’un certain nombre de choses sur lesquelles il à des légitimités fortes qui ne sont pas contestées et je crois que là-dessus, il ne faut peut-être pas avoir de timidité à exprimer ces responsabilités spécifiques. J’en cite quelques unes, je ne suis pas sûr d’être exhaustif dans le domaine: je pense aux solidarités territoriales avec la forte dimension sociale,bien entendu, aux enjeux très forts aujourd’hui dans les agglomérations, au problème de l’habitat pour lequel l’Etat a encore, je crois, et peut-être encore pendant longtemps un rôle éminent à jouer. On pourrait dire aussi l’égalité devant l’accès aux services, l’accès à l’emploi, l’accès à l’habitat, bien entendu.
Et puis, le deuxième champ qui serait plutôt celui des protections. Je n’opposerais pas, me semble-t-il, protections et aménagement. J’ai entendu tout à l’heure des inquiétudes à ce sujet. Je ne le perçois pas de cette manière-là. Je crois que dans le champ des protections, l’Etat a des responsabilités qui ne lui sont pas contestées, en matière de patrimoine, bien entendu, dans lequel on peut mettre le bâti, le végétal, le naturel, c’est à dire tout ce qui a une valeur patrimoniale dans le sens de ce qu’on pourrait appeler l’environnement et le paysage. Cette notion est une autre dimension, qui existe également dans le champ urbain, citons par exemple le paysage urbain, la silhouette de certaines villes historiques, les grands espaces naturels de la montagne ou du littoral..je crois que là ce sont des champs dans lesquels l’Etat n’est pas contesté .
Il y a un autre champ dont je n’ai pas beaucoup entendu parler, c’est celui des actions techniques de l’Etat dans son rôle de maître d’ouvrage. L’Etat exerce des maîtrises d’ouvrage à travers des services spécifiques qui lui imposent d’avoir un niveau très élevé de technicité et un souci majeur de qualité, je dirais même d’exemplarité. Cette maîtrise d’ouvrage s’exerce, bien entendu, sur ses propres réalisations mais elle s’exerce aussi au service des collectivités locales qui font appel à l’Etat dans ce domaine précis. Dans ce champ, je crois que les architectes, au sens large du terme, n’exercent pas le rôle qui pourrait être le leur. J’ai eu, effectivement, assez souvent, à dialoguer avec ces services et j’ai toujours pensé qu’ il y avait là une fonction qui était peut-être plus spécifique du métier d’architecte.
Alors, tout ceci, bien entendu, pose le problème de la formation des hommes et de la manière dont ces hommes, s’inscrivant dans ces légitimités affirmées de l’Etat sont porteurs, diffuseurs dans leur champ spécifique d’une culture, qu’elle soit culture urbaine, ou patrimoiniale. Et là, je crois qu’il y a une responsabilité très spécifique à exercer . L’on attend de ces architectes qu’ils soient très imprégnés de ces cultures afin que le dialogue puisse exister réellement avec d’autres professionnels qui exerceront d’autres légitimités et qu’il soit facteur de progrès.